vaches ; famille ; nature ; paysages ; pensées ; souvenirs ; humeur

19 juillet 2020

Fauvette.


Pour remercier Ambre Neige de son super cadeau,


qui souhaitait quelques explications supplémentaires au sujet de Fauvette, je vais donc vous parler d'elle et des liens particuliers qui nous unissaient.

Quand on dit Fauvette, chacun pense à ce petit oiseau partiellement migrateur, gris roux au plastron blanc, qui égaie nos vergers et nos jardins. La mienne de Fauvette, était rousse tâchée de blanc. Sa mère Roussette nous l'avait donnée comme un cadeau du ciel.

Je ne me souviens plus de l'année exacte, mes sœurs, lectrices de ce blog rectifieront. Était-ce en 1970 ou 11 ? Plus tard ? Je ne me souviens pas. Nous avions, mon père et moi, choisi cette magnifique vache rousse au plastron et à la tête toute blanche, lors d'une foire à Sauxillanges.


la Roussette


En ce temps là, foires et marchés animaient encore nos vieilles contrées. Nous nous y rendions volontiers, histoire d'agrémenter notre quotidien. C'était l'occasion de voir du monde, de boire un canon au bistrot de la place du village et pour nous les filles, jeunes ou moins jeunes, de faire quelques emplettes et de s'encombrer de quelques bibelots ou colifichets. Nous ne rentrions jamais bredouilles, le cœur plein d'allégresse et plein d'entrain pour les lendemains. Je me souviens de ces foires d'antan, quand j'accompagnais mon père aux marché aux cochons, aux veaux ou aux belles vaches de toutes races que je m'amusais à détailler. L'animation qui régnait sur les places du foirail était à son comble. Chacun allait de son invective pour attirer les badauds, les bonnes affaires foisonnaient surtout pour les camelots, les chalands eux, se contentant de marchander tant soit peu pour débourser le moins possible.  A Issoire, par exemple, il y a encore cette ancienne place du marché aux cochons devenue place de la Montagne, mais que les anciens situent mieux quand on leur dit "tu sais c'est sur l'ancienne place du marché aux cochons !" Si je partais avec deux francs en poche, je revenais souvent avec  le dernier numéro de "Miroir du cyclisme", car le vélo était ma deuxième passion. Je connaissais tout de la vie de mes champions, enfin, tout ce que tout le monde savait. Leurs exploits, leurs performances dans le dernier Dauphiné Libéré, le tour d'Espagne ou celui de Lombardie, Paris Brest, Paris Roubaix ou quel qu'autre compétition suivant la saison, mais surtout  quelles seraient les meilleures équipes pour le tour de France qui devait avoir lieu en juillet, pendant que l'on fanerait. 

Notre Roussette installée à la place qui lui revenait, c'est à dire à la place de celle qu'elle remplaçait, la Mascotte en l'occurrence,  je la contemplais. Je la bichonnais, je lui parlais et lui promettais longue vie parmi notre modeste troupeau. Elle promettait une longue carrière de laitière, elle était douce et coopératrice, j'aurai plaisir à la traire et la conduire au pré. Quelques mois plus tard, notre Roussette mit au monde un joli petit veau tout tacheté de roux. C'était une petite velle de pure souche Montbéliarde. Sa mère s'étant révélée bonne laitière, sa morphologie étant satisfaisante, je voyais en elle des promesses de lait doux, de beurre gouteux et de fromages savoureux. N'ayant pas de travail, et restant à la ferme en attendant des jours meilleurs côté professionnel, je suppliais mon père de la garder. Il tergiversa longtemps, se montrant retissant, il se fit tirer l'oreille, mais finit par accéder à mes arguments. Je la baptisais Fauvette.


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Je m'en occupais comme d'un bébé, lui offrant toutes sortes de friandises dont elle se délectait. Je lui donnais même des bâtons de guimauve dont elle raffolait. Le printemps étant encore loin, elle restait à l'étable avec les autres, mais quand vint le temps d'aller au pré, au prétexte qu'elle était encore jeunette et que les autres vaches risquaient de la blesser, nous ne l'avons pas mise à l'herbe avec ses ainées. Je la gardais dans le pré derrière notre maison. Ses premières sorties, la virent un peu pataude et mal assurée, mais elle prit rapidement ses aises et se montra très habile dans son nouvel élément. Je lui parlais sans arrêt, c'était un vrai plaisir de discuter avec elle, car elle me comprenait et me répondait. Toujours à chercher un câlin, ma présence la rassurait, c'était moi sa vraie maman. Ne me quittant pas d'une semelle, elle se frottait à moi cherchant un contact permanent puis allait brouter quelques touffes d'herbe fraîche avant de revenir à mes pieds.

Je me souviens d'une fois particulière où elle m'avait sauvé la mise, me tirant d'un mauvais pas. Mais avant il faut que je vous raconte cette autre histoire. J'avais 20 ans, le plus bel âge, dit on, mais pas de travail, ni de mari. J'aimais les vaches, j'étais de la campagne, les travaux des champs ne me rebutaient pas et il fallait penser à mon avenir. Les sorties, les bals, ne m'intéressaient pas.  Dans mon entourage, on pensait à la question. Ma mère souvent se moquait de moi et me disait toujours :"ma fille tu ne te mariera jamais !" comme si une urgence à se marier, pour une fille de 20 ans, était incontournable, inéluctable et une fin en soi. Nous avions une connaissance qui aurait pu faire l'affaire, il me fallait marier un paysan ! mais naturellement ce n'était qu'en parole, car aucun des possibles protagonistes n'en avaient manifesté l'intention. Il y avait aussi dans le voisinage un peu lointain, un couple que nous fréquentions, mon père étant en affaire avec le mari et elle  la mère d'une copine de ma sœur. Nous nous rendions quelques fois visite. Je fus donc invitée à venir passer une semaine à leur domicile, au prétexte que cela me changerait les idées. La vraie raison était bien entendu toute autre. La femme avait un amant qu'elle aurait bien voulu me refiler comme mari !

Seulement voilà, l'amant en question, bien que possédant un troupeau, assez modeste toutefois, de jolies Salers  n'était pas à ma convenance. Même,  représentait ce qui me rebutait le plus chez un homme : plus âgé que moi d'une bonne dizaine, (ce qui n'était pas un handicap majeur) mais rougeot et gras à souhait,  bedonnant et rustre, il possédait tout ce qu'il ne  fallait pas à une jeune fille romantique et sensible comme moi. Dépourvu du moindre attrait physique et d'aucune qualité morale ni intellectuelle qui puisse me faire rêver, je ne décelais pas en lui le futur compagnon de toute une vie. De plus mon jardin secret déjà envahi par une végétation beaucoup plus subtile, je n'avais aucune envie de chercher  ailleurs celui qui peuplerait mes nuits. Mon esprit vagabondant entre genêts de Bretagne et bruyère d'Ardèche, je cherchais la perfection, le miracle qui peut être me verrait tomber dans les bras de celui qui me ravirait.


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Le rustre donc s'étant cru dans l'ancien temps et pensant très fort à la chose, entreprit de me rendre visite à des fins courtisanes. C'est alors que la Fauvette entra en jeu.

Il arrivait par le chemin qui vient de chez la Francine, avec sa mobylette grise  quand ma sœur, Nicole, m'avertit de son approche. La Fauvette n'était qu'à quelques centimètres de moi. "Cache moi" lui dis je, ce qu'elle fit, tournant autour de moi comme la terre autour du soleil,  au fur et à mesure que l'autre approchait, me masquant à sa vue, tout à fait. "Bon dis je à Nicole, colle lui en bigot dans les mains et envoie le aux champs en lui disant que j'y suis déjà". Ce qu'elle fit. Lui partit d'un bon pas, pour ne revenir que le soir après une bonne après midi d'ouvrage pour lui, de détente en compagnie de ma vache pour moi. Il resta tard à discuter avec mon père, autour de la table, pendant que je m'affairais à de toutes autres activités sans lui accorder le moindre regard ni le moindre intérêt. Le scénario avait parfaitement fonctionné. Il se reproduisit une fois ou deux, pas plus, car il comprit assez vite qu'il n'obtiendrait rien de plus, d'autant qu'il m'avait écrit une lettre qui plutôt que de m'enchanter, m'avait choquée et qui n'obtint pas la moindre réponse de ma part. Savoir traiter par l'indifférence ce qui nous est imposé.


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Il lâcha donc l'affaire, mais ne renonça pas à se caser. Quelques années plus tard, alors qu'elle approchait à son tour de l'âge où les filles sont bonnes à marier, Nicole reçut mots pour mots,  la même lettre enflammée. Nous avions ri de l'affaire, moi j'étais partie à Paris, et elle sur le point de faire sa vie. Je ne sais pas ce que le prétentieux prétendant devint, à vrai dire cela ne m'a jamais préoccupée. J'aimais les vaches plus que les hommes et c'est toujours aussi vrai.

La fauvette, quant à elle,  était devenu une belle vache placide et attachante que je retrouvais à chacune de mes venues à la ferme.  Tous les mois d'abord, puis avec le temps, les visites s'espacèrent bien que régulières, car je n'ai jamais pu me soustraire à mes racines, seule la vie a compliqué les choses.


au temps des vaches de lossedat

Elle ne se sauvait plus du pré pour venir me retrouver, comme cette fois où l'ayant conduite auprès de ses congénères, je vis venir vers moi, le Denis, notre voisin, me prévenir que Fauvette, sur le chemin du Ruisseau,  était entrain de retourner à la maison. Ne me voyant plus, elle avait sauté les clôtures et reprit la route de son étable, celle que nous avions emprunté ensemble dix minutes plus tôt. Je la raccompagnais donc à son enclos et lui expliquais qu'elle était grande à présent, et que désormais c'est avec les autres vaches qu'il lui fallait rester, que moi, elle me retrouverait le soir. Elle pleura beaucoup, ses beuglement amplifiés par l'écho me déchiraient le cœur, si bien que j'étais souvent tentée d'aller la rechercher, elle me rappelait les premières séparations d'avec ma mère quand pour la première fois je quittais la maison pour aller à l'école, et que le regard tourné vers le chemin de la Maillerie, j'attendais en pleurant l'heure de la sortie. J'allais la voir souvent au fond du pré des Enclos, elle était occupée à brouter mais dès qu'elle m'apercevait elle se précipitait vers moi pour se faire caresser. Puis, complimentée,  elle retournait sagement au sein du troupeau.

Une vache exceptionnelle qui fit l'objet d'une éducation particulière, elle même assez exceptionnelle !

Je n'ai pas oublié la Fauvette, ni aucune de celles qui ont accompagnées, leur vie durant, ma destinée. Je n'ai qu'un seul regret : celui de ne pas les avoir aimées davantage et surtout de ne pas leur avoir montré à quel point, pour moi,  elles comptaient.


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Aujourd'hui, c'est Petit Lion qui bénéficie de ce que mes regrets ont entrainé.


2020 01 27 Ti Lion fait son show (4)


Voilà l'histoire de la Fauvette. Je pourrais raconter l'histoire de chacune de toutes celles que j'ai côtoyées, mais une vie y suffirait-elle ? Les mots ne traduisent pas toujours les émotions, parfois même,  les trahissent, alors je vais continuer de penser à elles avec au fond du cœur ce pincement qui parfois nous fait pleurer. Je n'ai pas de regret quant à mes choix de vie, simplement je ne peux m'empêcher de penser à ce que les choses auraient été si elles avaient été autrement. Mais cela ne changeant rien à l'affaire, il est temps pour moi de les laisser en paix.

 J'espère chère Ambre, et vous tous qui me lirez, que ce récit ne vous aura pas trop ennuyé. Qu'il vous aura au contraire fait découvrir combien ces merveilleuses créatures que vous découpez dans vos assiettes méritent le respect en même temps qu'une toute autre considération que le prix payé  chez le boucher.

 

Un 24 mars ordinaire.

 Un grand merci à Fabie qui a beaucoup oeuvré pour l'ouverture de ce nouvel espace avant que le blog initial, toujours le même ne me fas...