vaches ; famille ; nature ; paysages ; pensées ; souvenirs ; humeur

21 juillet 2019

Symphonie pastorale. Un si petit village -


Nous sommes en juillet... 1952. je n'ai que quelques jours.

De ma naissance, je ne sais pratiquement rien. De ma première année, quelques photos me disent combien je fus choyée. Quelques anecdotes me parlent de ce temps : Le Cadet, dont je buvais le lait bourru. La mort de la Finance, qu’il fallut enterrer au pré de la petite Sagne, sous l’œil inquisiteur de la Clémence, que mon père appelait le brigadier. Les labours, avec la Charmante et la Blonde qui n’en faisaient qu’à leur tête, prenant un jour la route au galop, avec un tonneau de purin. Des visites à Charel sur la moto, dans les bras de ma mère. De la Denise et la Ginette, de leurs chevaux : le Coco et la Poulette qui vivaient à la Vigerie. De ma marraine, qui nous attendaient impatiemment. Du gros cheval Bijou qui labourait vaillamment les terres en pente dans les champs de la Verrerie. De Mimi patte en l’air, le chat jaune et blanc que je faisais sauter dans mes bras, pendant que le tonton riait aux éclats. Et de la Criquette, la poule grise qui se perchait sur l’épaule de mon père…

Je ne sais à quand remontent mes premiers souvenirs. De mon plus jeune âge, quelques bribes me reviennent. Pas assez, cependant, pour constituer un socle qui contribuerait à définir une personnalité ou faire revivre une mémoire. Pas même pour une histoire à raconter.

Je me revois pourtant. J’avais deux ans et demi à peine. C’était en janvier ou février. La neige avait recouvert la contrée de son épais manteau blanc. Il faisait froid dehors. Emmitouflée dans de bien chauds lainages, je trônais sur la moto entre mon père et la Francine, j'étais fière et contente aussi d'être la vedette d'une épopée, dont j'ignorais encore l'issue. Cette brave voisine qui aurait pu être mon aïeule  me protégeait comme sa fille, ne manquant jamais de me montrer affection et intérêt.

Quand on m'embarqua ce jour là, pour une destination connue, je fus ravie. Nous allions chez la tata Anna, à l’autre bout de la commune. Ce n’était pas bien loin 4 ou 5 kilomètres tout au plus. Quand nous fûmes arrivés à Parel, ils discutèrent un moment puis la tata sortit du placard le chanteau de pain bis, le lard, le fromage et le saucisson. Ils firent « quatre heure ». Le temps passait. La nuit tombait. La tata me dit  soudain : Est-ce que tu veux voir les vaches ? Il n’en fallait pas plus pour me décider. Allez voir les vaches, je n’attendais que ça ! Vas avec le tonton. A l’étable, il y a un petit veau. Je suivis mon oncle. Dans la souillarde qui communiquait, il y avait une odeur, que je sens encore : pommes de terre bouillies pour la pâtée des cochons mêlée à celle des bêtes toutes proches.

L’étable était plus grande que celle de Lossedat. De belles vaches Salers étaient alignées sur toute une rangée. Au fond, un immense tas de sciure m'impressionna. Le petit veau était dans son cagibi. Il me regardait avec d’immenses yeux ronds. Après un tour rapide de la grande étable, me sentant étrangère, je manifestais l’envie de revenir à la cuisine retrouver la Francine, qui me rassurait en l’absence de ma mère. Pressentiment ? Simple manifestation d’impatience ? J’insistais auprès de mon oncle qui ne se pressait pas.

Quand nous poussâmes enfin la porte, mon père et la Francine n’étaient plus là. Je me souviens encore de mon chagrin et du grand désarroi qui m’assaillirent alors. Je me sentais perdue. Tout s’écroulait autour de moi. Un perceptible et inexplicable sentiment d’abandon me submergea. Je n’y comprenais rien. Comment ces deux êtres qui m’étaient si chers avaient pu me trahir autant ?

A la maison, j’avais l’habitude de voir aller-venir mon père, tandis que j’étais toujours en compagnie de mon grand-père ou de ma mère. Quant à la Francine, elle faisait partie de mon univers. J’allais la voir souvent. C’est elle qui intervenait pour récupérer ma lapine, un vieux morceau de bois tout couvert de mousse qu' une autre de nos voisines, voulait transformer en bois de chauffe. Le tonton et la tata venaient parfois chez nous, je les connaissais, bien sûr, mais leur présence ne m’étant pas familière, je ne m’en souvenais pas. La séparation n’en fut que plus douloureuse. Inlassablement, je réclamais la Francine.

« Où elle est, la Francine ? Je veux la Francine ! Je veux voir la Francine. Ce à quoi mon oncle, quand ce n’était pas l’Anna, répondait invariablement et en patois : m’immardi bi ta Francine ! » Ou «  tsaba n’in bi ta Francine ! » (Tu m’emmerdes avec ta Francine ! finis en avec ta Francine).

Je renchérissais alors en formulant une autre demande : « Je veux le Négus de la Francine ! »

Le Négus était une grosse vache noire. Docile et familière, j’avais avec elle des liens particuliers. Elle me caressait les mains, parfois la joue, de sa grosse langue râpeuse. Je lui prodiguais câlins et caresses à chaque fois que j’allais chez la Francine. Ma venue, ne pouvant éviter l’étable, bien entendu ! Outre le Négus, qui me manquait particulièrement, il y avait la Jolie, grosse ferrandaise rousse braignée-pigée tout aussi gentille, la Bardelle, la Mignonne, la Charmante, la Pige, la Ribande, la Rouge, la Marque et la Marquise… Je crois que je pourrais encore aujourd’hui les reconnaitre et les nommer par leur nom, tellement je les aimais. Ne plus les voir, en être séparée était une véritable torture. Durant trois bons mois, je répétais en vain les mêmes suppliques, posant les mêmes questions, avec les mêmes réponses...

Un matin d’avril, la Francine, arrivée de nulle part, fit son apparition. Elle venait me rechercher. Enfin !

Je ne me souviens pas des retrouvailles. Ni du bien long chemin. Sans doute dût elle m’encourager souvent, me porter dans les côtes, me raconter des histoires pour faire passer le temps. Mais arrivées en haut de la Pinatèle, ma main lâcha la sienne. Je bondis les bras tendus en avant, sautant de joie,  criant de toutes mes forces : « ça yé on est arrivées, je suis chez moi ! Je vois mes Enclos ! On apercevait en effet, par la trouée du bois, les champs et les près recouverts de jonquilles. Je les aurais reconnus entre mille. Encore je les revois. Le chemin devenait si court et si léger à mes petites jambes, que la Francine ne pouvait plus me suivre. C’est moi qui la guidais. Lospeux, la maison du Lanton, le Lavadour, la Bugette, les Bèzes et les Coulires défilaient sous mes yeux. Je courrais plus que je ne marchais. Mes petits sabots claquaient sur les cailloux de la route et la Francine, loin derrière, n’avait de cesse de crier : « attends- moi ! »

je vois mes enclos

Pendant mon absence, une petite sœur était venue rejoindre le foyer de mes parents. J’allais le découvrir. Je ne me souviens pas avoir pâti de sa venue. Elle dormait, pleurait, tétait puis se rendormait. Je n’étais nullement jalouse et ne faisais aucun rapprochement entre sa venue et mon exil. Les choses me semblaient comme avant. J’avais toujours, rien que pour moi, mon grand-père. J’accompagnais ma mère garder les vaches. Elle me préparait un gouter fait de petites bouchées de lard sur de petites bouchées de pain. La Lorette notre chien nous accompagnait et quémandait sa part, que je lui donnais volontiers. Parfois nous allions un peu loin, c’est installée dans la remorque que je faisais le chemin. J’emmenais avec moi la Cabriole : une chèvre en caoutchouc et mon fon : un morceau de chiffon blanc en guise de doudou dont je ne me séparais jamais. Si nous gardions aux Vers, où les voisines gardaient aussi, elles discutaient avec ma mère. Me proposaient d’aller avec elles au bal à Saint Eloy. Me demandaient des nouvelles de ma petite sœur et si elle était sage. Question à laquelle je répondais sans ménagement : «elle pleure tout le temps ! Et puis elle a même pas de jambe ! » C’était pour moi étrange de voir cette petite chose emmaillotée dans de gros langes, téter son biberon.  

Née entre deux hivers d’une extrême rigueur, elle avait tout juste un an quand la terrible vague de froid de l’hiver 1956 fit son apparition. Elle tomba gravement malade. Le docteur appelé en toute hâte diagnostiqua une pneumonie. De ce long mois de février, je ne retiens presque rien. Mais j’avais une vague notion de l’inquiétude de mes parents. Je les revoie près du berceau de ma petite sœur, lui prodiguant soins et réconfort. Ma mère faisait brûler en permanence de l’alcool dans un récipient afin de réchauffer l’atmosphère, sans y parvenir cependant. Ce fut pour moi l’un des faits les plus marquants.

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