vaches ; famille ; nature ; paysages ; pensées ; souvenirs ; humeur

17 février 2019

Comme une symphonie inachevée.

Il venait parfois à la maison, prêter la main pour quelques gros travaux, la moisson, les fenaisons, la batteuse ou la tuade du cochon. Il venait aussi souvent pour le plaisir. Rendre visite tout simplement. Du temps du grand père, il venait plus souvent, parcourant les kilomètres à vélo. Je me souviens d'une fois, où cramponnée à l'arrière du véhicule, je basculais dans une côte. Il ne s'en aperçu pas tout de suite et dut faire demi tour pour me récupérer. Je n'avais que quelques égratignures mais je geignais, comme le font les enfants insatisfaits. De douze ans mon ainé, il aurait pu être comme un grand frère quand en cet hiver de 1955 je trouvais si longue l'absence et si long ce temps où on m'avait laissée en garde à sa mère, parce que ma petite sœur ne devait pas tarder à arriver. Mais lui l'enfant de la terre, qui ne pouvait pas respirer cet air si vif de nos montagnes où le grand froid fait craindre pour la santé passa la plus part de ces années d'enfance prés des tantes de la ville, ne revenant que pour l'été, aider ses père et mère, quand les récoltes devaient être engrangées. Il aimait conduire l'attelage, guider la Charmante et la Jacade ou la Marquise avant d'aller garder en lisière de la forêt.  Plus tard, il devint ouvrier. Il fit sa vie comme il pouvait. Le pain dur à gagner, les enfants à élever, les aléas de la vie, il eut son lot, comme beaucoup. Son père  à lui, prisonnier durant la guerre, il ne le connu qu'à l'âge de six ans et dut se construire comme bien d'autre, au cours de ces longues années de privation. Ses oncles, son grand père présents tant qu'ils pouvaient auprès de sa mère, s'appliquaient à le choyer et comblaient tant bien que mal l'absence de ce père qui lui manquait. C'était l'époque de bien des solidarités. Il en garda l'empreinte et toute sa vie durant, il s'appliqua à en dispenser.

Nous allions parfois lui rendre visite quand nous revenions au pays. Nous retrouvions la maison toujours propre et accueillante, le jardin donnant fruits et légumes à profusion et l'étable qui avait encore ce parfum d'antan, que je ne puis oublier. La porte toujours ouverte, la table toujours offerte pour le passant isolé, comme pour le familier et autour de laquelle, il était impossible de ne pas s'attarder. La dernière fois, c'était en avril nous passions à l'improviste. Il nous garda pour manger. L'après midi, il ne fit pas sa sieste, nous allâmes nous promener. Passant par la Modière, nous avons refait un peu de ce chemin qui lui il était coutumier. La prochaine fois me dit il, nous irons jusqu'à la voie romaine et nous ferons le grand tour, cela fait du bien de marcher. 

Nous n'en aurons pas eu le temps. Pour lui, le soleil vient de se coucher. C'est la voisine qui l'a trouvé. Face contre  sol, il dormait.

Nous n'irons plus au bois. Nous ne gouterons plus ni le jambon ni le saucisson. Nous ne mangerons  plus ensemble en buvant le canon. 

Que deviendra le gros chat noir qui s'installait le soir sur ses genoux, pendant qu'au coin du feu, il somnolait ? Que deviendra cette maison si accueillante dont la cheminée ne fumera plus, laissant échapper le soir quelques volutes parfumées ?


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Et nous qui allons continuer de tourner les pages, c'est sans sa présence que nous étofferons nos mémoires et parlerons d'un passé chargé de notre histoire, comme d' une symphonie inachevée

13 février 2019

Les Rescapés de la Modière. (un si petit village, suite)

 Nathalie poussait comme un petit champignon. quand je revins à la maison, je la trouvais bien changée. C'est long une quinzaine ! Pendant ce temps... dans les rues  de ce si petit village où les nouvelles vont vite tant il est petit, pendant un temps, les grands bœufs si doux de l'Aubrac se donnaient en spectacle au cœur de l'actualité...

Et oui. Notre Francine venait de remplacer le Mouton et le Papillon,  deux robustes Ferrandais par une autre paire de bœufs, placides comme les précédents. Mais avant, il y eut une transition, qui bien que brève n'en fut pas moins ... mouvementée !


 




Et je vais vous en  conter l'affaire.

Le Mouton et le Papillon, après des années de bons et loyaux services ne pouvaient plus monter les lourds chars de foin depuis le fond des Coullires. Trainer la lourde batteuse depuis le village de Cher, jusqu'à celui de Lossedat, passant par la côte de Bellevue, leur devenait pénible. Aussi après s'en être entretenue avec son trop de Lucien, la Francine décida donc qu'il faudrait vendre les bœufs. Bien sûr le maquignon qui vint faire l'affaire n'en trouvait que bénéfice. Ainsi, il proposa de reprendre les deux beaux Ferrandais et de fournir un autre attelage. " J'ai là dans mon étable, deux grands bœufs blonds de race Aubrac, qui font merveille. C'est du solide" dit-il à la Francine. "Ils sont jeunes et vaillants comme dix !" "Oh, bien sûr, il faudra une rallonge, mais pas bien grosse, si vous voulez, pour le même prix, je vous débarrasse aussi de la vieille carne  qui est là dont personne ne voudra,  et on n'en parle plus !" De bonne ou de mauvaise grâce, nos gens tombèrent d'accord, et le marché fut conclu.


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Le douze février 1965, vers les deux heures de l'après midi, par un temps exécrable, il neigeait, il ventait, notre maquignon chargea les bœufs dans son camion et pris la route qui monte de Sauxillanges à Echandelys.

La tourmente faisait rage, sous la neige, le verglas, dans le camion, à chaque virage, et ils sont nombreux depuis le rocher du diable jusqu'à l'embranchement de la Pairerie,  les bœufs brinquebalaient. Arrivés à Lospeux, le chemin était bouché. Attachés à une corde, des œillères sur les yeux, sur le coup des 4 heures,  les bœufs, malmenés arrivèrent à pied, jusque chez la Francine. Au moment de les libérer, les œillères furent enlevées, aveuglés par la soudaine blancheur,  complètement affolés, au lieu de rentrer sagement dans l'étable, les pauvres bêtes prirent la poudre d'escampette et partirent à l'aventure à travers bois et prairies.

En fin de soirée, l'un d'eux fut récupéré du côté de Chambon sur Dolore par le maquignon et ce trop de Lucien, aidés de la population locale venue prêter main forte. L'autre, le plus effarouché,  atterrit sur les hauteurs de la commune, dans les bois de la Modière, la Francine, le Jean et le Roger à ses trousses.

Tentant tant bien que mal de maitriser l'animal, nos trois compères ne faisaient qu'attiser sa nervosité. C'est alors que le bœuf devenu fou se mit à charger. Prestement malgré son âge, le Jean, le premier,  se hissa sur une branche de sapin, exhortant la Francine et le Roger à l'imiter. Pas bien leste, le Roger parvint tout de même à gagner lui aussi une basse branche. Mais la pauvre Francine encore moins alerte vu son grand âge,  encombrée de ses cotillons hésitait. Le bœuf chargeait toujours. C'est alors que le Jean l'encouragea par cette phrase mémorable : "Depouitsa  te, ti fara be monta, se,  che voulèm pas, n'asa pas peu "( Dépêchez vous, Il vous y fera bien monter, lui, si vous ne le faites pas, n'ayez pas peur !)

Sur ces mots la Francine saisit la main tendue et grimpa à son tour dans l'arbre. Le boeuf soufflait toujours.  

Sur le coup des 5 heures et demie, 6 heures du soir, l'Antoine de Parel qui faisait boire ses vaches au bac du village, entendit de drôles de cris : "Au secours ! au secours, à l'aide !"

Il rentra ses vaches à l'étable et se dirigea vers l'endroit d'où provenaient les cris.

C'est alors qu'il vit un  spectacle assez insolite et inattendu. Perchés dans leur arbre, Le Jean, La Francine et Le Roger, à tour de rôle appelaient, pendant qu'un fauve tout tremblant d'écume, grattait de son sabot, la neige au pied d'un grand sapin. 

Aussi vite qu'il pu, l'Antoine revint chez lui, lia  la Charmante et la Marquise et bravant neige et tempête, rejoignit le bois afin d'amadouer la bête. Toutes les tentatives d'approche s'avérant vaines, il redescendit à la maison où il demanda du renfort. On téléphona au boucher d'Echandelys, qui avait quelques bêtes. Celui ci dépêcha son commis à la tête d'un troupeau de génisses. Le bœuf fou ne voulant rien savoir, il écumait toujours. Les gendarmes se déplacèrent, un attroupement se formait dans le bois, rajoutant du stress à l'animal et accentuant la souffrance de nos "sinistrés de la tourmente". Voyant que rien ne viendrait à bout de ce féroce animal, l'adjudant de gendarmerie sortit son arme et mit le bœuf en joue. C'est alors que le maquignon, sorti de nulle part, se jeta devant lui, faisant écran entre l'arme et la bête, en criant :  

" Ne tirez pas ! ne tirez pas ! il est doux comme un agneau !"

 Tard dans la nuit, le bœuf soufflait toujours, le maquignon et le gendarme se regardaient en chien de faillance, quand un forestier voisin vint avec son tracteur. Braquant ses feux  sur le bœuf  surpris qui se détourna de sa cible avant de retrouver un calme relatif et d'être capturé sans dommage.

Grelottant de froid et de peur, le Jean, la Francine et le Roger purent redescendre de leur perchoir. L'Antoine paya le café et la goûte puis tout rentra dans l'ordre. Le maquignon remballa ses bœufs et en fournit une autre paire à la Francine, qui échaudée, ne voulait surtout pas de ceux là. L'incident fit les gorges chaudes d'Echandelys pendant un moment, puis chacun passa à autre chose. La mésaventure fut néanmoins relatée dans la presse locale et reste aujourd'hui encore dans bien des mémoires, dont la mienne.

Je regrette beaucoup de n'avoir pas été présente ce jour là. Séquestrée dans un pensionnat. Cette partie de far ouest aux portes de chez moi, j'aurais pu la vivre en direct mais je me fais une joie de la raconter telle qu'elle m'a été livrée par ma mère, par ma tante l'Anna dont le mari,  l'Antoine fut aux premières loges et relatée par le journal La Montagne, dans ses chroniques locales de l'époque.

 

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08 février 2019

Une semaine en février (un si petit village, suite)

 A cours d'inspiration, j'ai déserté. Vous m'avez fait l'honneur de venir et moi, je n'étais pas là.

Hier, peut être, j'aurais pu. Je vous aurez parlé de cette toute dernière petite sœur qui venait de naitre, en ce 7 février 1965.

Il faisait froid. La nuit était froide et angoissante. Déjà quand je rentrais du collège ce vendredi soir, il régnait  à la maison une ambiance inhabituelle que je palpais sans en comprendre la vraie raison. Tout le monde semblait énervé, maman avait les traits tirés et perdait patience plus que jamais. Son regard inquiet et suppliant nous accablait. Le soir venu, on nous avait intimé l'ordre de dormir dans la chambre dite de la mémé, car c'était la chambre de notre grand mère du temps où elle venait nous rendre visite, une fois l'été arrivé.

De notre petit lit où nous étions bien recroquevillées ma sœur cadette et moi, nous parvenaient des bruits étranges. Un remu ménage peu commun. Quelle était donc cette soudaine agitation qui s'était emparée de la maison ? Nous tremblions sous nos couvertures.  Sans explication aucune, nous étions témoins de toute cette effervescence et nous n'y comprenions rien. Ce n'était pas la première fois qu'il nous arrivait un nouveau bébé. Mais les fois précédentes, c'était le jour. Nous voyions arriver le docteur, avec sa mallette, puis il repartait quelques temps après, comme il était arrivé. Nous posions bien des questions en entendant brayer à l'étage et en voyant ce nouveau né prés de ma mère, allongée dans son lit (ce qui ne lui arrivait jamais d'ordinaire, en pleine journée). Mais on nous répondait par l'évasive que le docteur avait déposé là un bébé qu'il transportait dans sa valise, comme nous avions pu le constater.  La dernière fois, nous avions 5 années de moins et pas encore l'âge de comprendre toutes ces choses dont les grands font mystère. N'y voyant pas malice, nous nous satisfaisions de ces sommaires explications.  Cette fois, encore, nous n'avions pas pris garde et n'avions rien détecté jusqu'alors de suspect. Ce n'est qu'en entendant les vagissements que nous fûmes fixées, et soulagées à la fois. Le lendemain, nous découvrions cette toute petite chose rouge et fripée.

Cette année là je basculais définitivement et directement dans le monde des grands, sans passer par la case adolescence.  Je compris des tas de choses. J'appris à ne pas poser les questions qui peuvent fâcher. J'appris que les grands ne sont pas toujours là pour nous rassurer et nous donner confiance. J'appris à deviner ce qu'on ne me dirait jamais. J'appris aussi que sur moi seule, il me faudrait compter. 

Quand le lundi matin, mon père m'accompagna au chemin pour attendre le car qui me reconduirait au pensionnat, je pleurais abondamment. Plus encore que les autres fois. Je savais que cette petite sœur qui n'avait pas encore de nom, je ne la verrai pas grandir. Que je ne serai jamais guère plus qu'une étrangère désormais, à tout ce qui se passerait sous ce toit qui des années durant m'avait habitée, donné confiance et structurée.

Les copines essayaient de me consoler. A chacune de leurs questions, mes sanglots redoublaient. Comment aurais je pu leur dire tout ce qu'en moi, il se passait ? Ma peine, mon désarrois, ma mélancolie après avoir d'un coup compris tant de choses ? Lourdes, un peu trop lourdes pour l'enfant que j'étais. Je n'eus comme toute réponse à leur fournir, qu'un vague 'j'ai mal au ventre", sans expliquer pourquoi.

La semaine s'écoula,  au cours de laquelle Je reçus comme toutes les semaines, une lettre de maman. On avait trouvé un nom à Nathalie. La Francine avait acquis une nouvelle paire de bœufs qui allait faire parler beaucoup chez le boulanger, chez l'épicier, au café et à la sortie de la messe, le dimanche arrivé. Dans les rues  de ce si petit village où les nouvelles vont vite tant il est petit, pendant un temps, les grands bœufs si doux de l'Aubrac feraient l'essentiel de l'actualité.


echandelys en hiver

Un 24 mars ordinaire.

 Un grand merci à Fabie qui a beaucoup oeuvré pour l'ouverture de ce nouvel espace avant que le blog initial, toujours le même ne me fas...