vaches ; famille ; nature ; paysages ; pensées ; souvenirs ; humeur

13 février 2019

Les Rescapés de la Modière. (un si petit village, suite)

 Nathalie poussait comme un petit champignon. quand je revins à la maison, je la trouvais bien changée. C'est long une quinzaine ! Pendant ce temps... dans les rues  de ce si petit village où les nouvelles vont vite tant il est petit, pendant un temps, les grands bœufs si doux de l'Aubrac se donnaient en spectacle au cœur de l'actualité...

Et oui. Notre Francine venait de remplacer le Mouton et le Papillon,  deux robustes Ferrandais par une autre paire de bœufs, placides comme les précédents. Mais avant, il y eut une transition, qui bien que brève n'en fut pas moins ... mouvementée !


 




Et je vais vous en  conter l'affaire.

Le Mouton et le Papillon, après des années de bons et loyaux services ne pouvaient plus monter les lourds chars de foin depuis le fond des Coullires. Trainer la lourde batteuse depuis le village de Cher, jusqu'à celui de Lossedat, passant par la côte de Bellevue, leur devenait pénible. Aussi après s'en être entretenue avec son trop de Lucien, la Francine décida donc qu'il faudrait vendre les bœufs. Bien sûr le maquignon qui vint faire l'affaire n'en trouvait que bénéfice. Ainsi, il proposa de reprendre les deux beaux Ferrandais et de fournir un autre attelage. " J'ai là dans mon étable, deux grands bœufs blonds de race Aubrac, qui font merveille. C'est du solide" dit-il à la Francine. "Ils sont jeunes et vaillants comme dix !" "Oh, bien sûr, il faudra une rallonge, mais pas bien grosse, si vous voulez, pour le même prix, je vous débarrasse aussi de la vieille carne  qui est là dont personne ne voudra,  et on n'en parle plus !" De bonne ou de mauvaise grâce, nos gens tombèrent d'accord, et le marché fut conclu.


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Le douze février 1965, vers les deux heures de l'après midi, par un temps exécrable, il neigeait, il ventait, notre maquignon chargea les bœufs dans son camion et pris la route qui monte de Sauxillanges à Echandelys.

La tourmente faisait rage, sous la neige, le verglas, dans le camion, à chaque virage, et ils sont nombreux depuis le rocher du diable jusqu'à l'embranchement de la Pairerie,  les bœufs brinquebalaient. Arrivés à Lospeux, le chemin était bouché. Attachés à une corde, des œillères sur les yeux, sur le coup des 4 heures,  les bœufs, malmenés arrivèrent à pied, jusque chez la Francine. Au moment de les libérer, les œillères furent enlevées, aveuglés par la soudaine blancheur,  complètement affolés, au lieu de rentrer sagement dans l'étable, les pauvres bêtes prirent la poudre d'escampette et partirent à l'aventure à travers bois et prairies.

En fin de soirée, l'un d'eux fut récupéré du côté de Chambon sur Dolore par le maquignon et ce trop de Lucien, aidés de la population locale venue prêter main forte. L'autre, le plus effarouché,  atterrit sur les hauteurs de la commune, dans les bois de la Modière, la Francine, le Jean et le Roger à ses trousses.

Tentant tant bien que mal de maitriser l'animal, nos trois compères ne faisaient qu'attiser sa nervosité. C'est alors que le bœuf devenu fou se mit à charger. Prestement malgré son âge, le Jean, le premier,  se hissa sur une branche de sapin, exhortant la Francine et le Roger à l'imiter. Pas bien leste, le Roger parvint tout de même à gagner lui aussi une basse branche. Mais la pauvre Francine encore moins alerte vu son grand âge,  encombrée de ses cotillons hésitait. Le bœuf chargeait toujours. C'est alors que le Jean l'encouragea par cette phrase mémorable : "Depouitsa  te, ti fara be monta, se,  che voulèm pas, n'asa pas peu "( Dépêchez vous, Il vous y fera bien monter, lui, si vous ne le faites pas, n'ayez pas peur !)

Sur ces mots la Francine saisit la main tendue et grimpa à son tour dans l'arbre. Le boeuf soufflait toujours.  

Sur le coup des 5 heures et demie, 6 heures du soir, l'Antoine de Parel qui faisait boire ses vaches au bac du village, entendit de drôles de cris : "Au secours ! au secours, à l'aide !"

Il rentra ses vaches à l'étable et se dirigea vers l'endroit d'où provenaient les cris.

C'est alors qu'il vit un  spectacle assez insolite et inattendu. Perchés dans leur arbre, Le Jean, La Francine et Le Roger, à tour de rôle appelaient, pendant qu'un fauve tout tremblant d'écume, grattait de son sabot, la neige au pied d'un grand sapin. 

Aussi vite qu'il pu, l'Antoine revint chez lui, lia  la Charmante et la Marquise et bravant neige et tempête, rejoignit le bois afin d'amadouer la bête. Toutes les tentatives d'approche s'avérant vaines, il redescendit à la maison où il demanda du renfort. On téléphona au boucher d'Echandelys, qui avait quelques bêtes. Celui ci dépêcha son commis à la tête d'un troupeau de génisses. Le bœuf fou ne voulant rien savoir, il écumait toujours. Les gendarmes se déplacèrent, un attroupement se formait dans le bois, rajoutant du stress à l'animal et accentuant la souffrance de nos "sinistrés de la tourmente". Voyant que rien ne viendrait à bout de ce féroce animal, l'adjudant de gendarmerie sortit son arme et mit le bœuf en joue. C'est alors que le maquignon, sorti de nulle part, se jeta devant lui, faisant écran entre l'arme et la bête, en criant :  

" Ne tirez pas ! ne tirez pas ! il est doux comme un agneau !"

 Tard dans la nuit, le bœuf soufflait toujours, le maquignon et le gendarme se regardaient en chien de faillance, quand un forestier voisin vint avec son tracteur. Braquant ses feux  sur le bœuf  surpris qui se détourna de sa cible avant de retrouver un calme relatif et d'être capturé sans dommage.

Grelottant de froid et de peur, le Jean, la Francine et le Roger purent redescendre de leur perchoir. L'Antoine paya le café et la goûte puis tout rentra dans l'ordre. Le maquignon remballa ses bœufs et en fournit une autre paire à la Francine, qui échaudée, ne voulait surtout pas de ceux là. L'incident fit les gorges chaudes d'Echandelys pendant un moment, puis chacun passa à autre chose. La mésaventure fut néanmoins relatée dans la presse locale et reste aujourd'hui encore dans bien des mémoires, dont la mienne.

Je regrette beaucoup de n'avoir pas été présente ce jour là. Séquestrée dans un pensionnat. Cette partie de far ouest aux portes de chez moi, j'aurais pu la vivre en direct mais je me fais une joie de la raconter telle qu'elle m'a été livrée par ma mère, par ma tante l'Anna dont le mari,  l'Antoine fut aux premières loges et relatée par le journal La Montagne, dans ses chroniques locales de l'époque.

 

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