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27 mars 2020

A vous tous.

  

A mes enfants, mes sœurs, à mon frère à leurs enfants et petits enfants. A Manon, Nicole et Nathalie qui viennent ici me lire. A ceux que  Nicole asperge en secouant ma plume mais qui ne me lisent pas. A tous mes proches éloignés de moi.

 

Le 20 juillet 1918, à 16 heure décédait Ida valentine. Elle avait 5 ans.  Cette année là outre la guerre qui entrait dans sa quatrième année, la grippe espagnole  fit des ravages si importants qu'en à peine quelques mois, elle fit plus de morts que la guerre. Entre 50 et 100 millions de morts selon des études récentes contre 10 millions dus à la guerre. En cette période de corona, elle est présente dans bien des esprits.

C'est de la typhoïde que meurt  Ida Valentine,  comme son petit frère Lucien Paul agé de 28 jours, un mois plus tôt. Leur papa, notre grand père est à la guerre, sans doute en permission. Car il est présent ce jour là. Tandis qu'Anna  la grande sœur partie à travers bois, chercher le médecin au bourg d'à côté,  il parcourt à vélo, le canton afin de quérir un homme de science qui pourra prodiguer des soins à l'enfant.

Ida s'étouffe, demande souvent à boire. Elle inonde son lit et ses vêtements de sueur. Elle souffre , demande encore à boire  "é sé"  (j'ai soif) dit elle sans relâche. Sa mère  ne sait plus comment la soulager.

Pendant ce temps Anna qui a trouvé un médecin à Condat est confronté à la pire expérience de sa vie de jeune enfant. Elle a douze ans, sa petite sœur est entrain de mourir et le médecin en vacance ne veut pas se déplacer. Anna m'a raconté  " je le revois comme si c'était hier" me dit elle. Il était adossé à la grande table de sa salle à manger ; les mains à plat posées sur la table, et il martelait : "je n'irai pas, je suis en congés" !

Quand elle revient à la ferme, bredouille,  Ida a rendu  l'âme. Son petit corps dégoulinant de sueur semble apaisé. Elle ne crie plus de douleur. Plus rien ne s'échappe de ses lèvres gercées par la fièvre. Sa mère se tient dans un recoin de la pièce, prostrée. Elle vient de perdre un deuxième enfant en à peine deux mois. 

Cette scène Anna me l'a racontée à ma demande. C'était après le décès de mon père. Il ne m'en parla qu'une fois. A la campagne on n'aime pas parler des drames. Chacun les vit à sa façon et tente de se reconstruire comme il le peut. Seul. On est toujours seul dans ces cas là.

D'elle je n'ai qu'une photo, jaunie et mal conservée que j'ai trouvé dans le porte feuille de papa. Cette photo il la conservait précieusement avec d'autres documents et photographies. Elle avait été prise durant la guerre pour être envoyée au soldat qu'était leur père.


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En cette période où le monde est si précaire je pense à eux, j'ai peur pour tous ceux qui me sont chers. J'angoisse car l'impuissance et l'éloignement  m'empêche de les serrer dans mes bras.

J'ai une envie irrépressible de les voir, de leur dire que je les aime, moi qui ne prononce que rarement ces mots là. Ces mots qu'on n'apprends pas à dire que l'on tait faute de pouvoir les exprimer.

J'éprouve  une impérieuse nécessité de les entendre, d'entendre leur voix. Je les imagine aux prises à la difficulté quotidienne, à la solitude et à l'isolement. J'ai mal de les savoir si loin.

Je suis une maman, je pense à cette femme que je ne connais pas et qui vient de nous livrer ses confidences au sujet de sa fille emportée par le corona.

Je pense à tous ces gens qui souffrent, qui meurent, à tous ces efforts que font les chercheurs, les soignants, les médecins qui font tout ce qu'ils peuvent pour enrayer cette terrible maladie. Toutes les maladies. Je pense à tous ceux qui se décarcassent pour que nous ayant encore la joie de vivre, de manger, de pouvoir encore espérer... Je pense... Et puis je pense à tous ces abrutis qui n'en n'ont rien à faire et bravent sans vergogne les mesures de précaution au mépris le plus élémentaire de la vie. Et je suis en colère. Je suis meurtrie.

Je ne dirai jamais assez combien me sont chers tous ceux qui ne sont pas prés de moi.

Je vous aime. Prenez soin de vous. Il y a si longtemps que je ne vous ai pas serrés dans mes bras. Je voudrai encore pouvoir le faire quand tout cela sera derrière nous.

12 mars 2020

Ah ! Mes aïeux !

 Qui n'a pas entendu ou prononcé cette exclamation ? Nous observant pendant que nous nous évadions de la réalité du moment, ma mère nous disait souvent : "tu penses à ce que deviendront les enfants de tes petits enfants ?" Il nous paraissait loin et bien abstrait ce temps qui arrive à grands pas, pourtant.

La plus part d'entre nous sont grand mère d' enfants déjà bien grands ! Quelques pas encore et il sera là ce temps au quel nous ne pensions pas. Je ne sais si elle y pensait, elle, ni si sa mère le lui disait aussi. Quoique je l'imagine. 

Imaginaient elles, aussi que grâce à cette formidable machine à remonter le temps, qu'avec internet, on apprivoise, nous nous imprégnerions de nos racines ?

Les archives ne sont pas toujours très lisibles, hélas, les homonymies nombreuses et les dégâts du temps ont fait œuvre dans les registres. Cependant, la généalogie offre plus d'une piste que chacun peut explorer. Certes, elle ne dit pas tout, mais avec un peu de recherche et de documentation, l'affectif faisant le reste, on se plaît à naviguer au pays de nos ancêtres. 

Je m'y penche avec passion. Ce que j'y trouve me trouble parfois, me déroute tout autant, me fascine et m'encourage.

M'encourage à me battre conte les injustices, contre la pauvreté, contre les violences faites aux faibles, contre la guerre et la misère.

La généalogie, liée à notre histoire  collective, est un enseignement social et nous dit que rien n'est jamais acquis. Que sans relâche les peuples ont dû arracher la plus petite once de bien être et de progrès. Qu'il ne faut surtout pas laisser à d'autres le soin de s'occuper de nos affaires, surtout pas au monde des affaires. Que nos ancêtres ont dû lutter, mourir pour défendre leur terre et pour manger, se soigner, s'instruire et rester digne. La solidarité dont ils faisaient  preuve les uns envers les autres était une leçon de partage, de courage mais surtout d'humanité. 

Je n'imagine même pas à quel point la vie a pu être dure et pourvue de déconvenues pour eux tous, nés sur un sol rugueux. Combien de drames s'y sont déroulés, combien de souffrances endurées. Combien de mères, combien de femmes ont pleuré un enfant mort, un père, un mari trop tôt parti. Combien d'homme se sont penché sur la boisson pour oublier. Combien ont ils peiné pour survivre à une exitance miséreuse, où seul le labeur et la prière étaient autorisés.

Comment a bien pu vivre cette ancêtre, Antoinette,  aïeule de ma mère, Journalière agricole, veuve une première fois,  et déjà mère  dont le père de 4 ses enfants mourut au combat au mois de mars de 1811.

Chez nous,  les récoltes étaient mauvaises  cette année là. Le peuple  confronté à la famine, fut contraint à la révolte et  de nombreuses  émeutes et attaques de convois de blé eurent lieu dans les campagnes, laissant pour morts ceux qui les conduisaient. Partout c'était la guerre. L'Europe s'embrasait sous la mitraille, Napoléon préparait  sa campagne de Russie.

Guillaume Borie, père de 4 enfants dont le dernier n'avait qu'à peine deux ans, lui, était soldat. Peut être, au cours de sa campagne,  avait-il croisé Moustache, le chien soldat, qui fut décoré par l'empereur pour services rendus à l'armée. Peut être fut il vaillant et courageux, mais lui ne le fut pas. peut être, avant de mourir, a-t-il pensé aux siens, laissé dans un coin d'Auvergne, où poussent la ronce et le muscat ? On dit que l'été fut sec et le raisin sucré, mais ça Guillaume ne le saura pas.

Ce n'est qu'en 1826, au mois d'octobre que parvinrent à Charel son acte de décès délivré par la préfecture où se situait l'hôpital qui recueillit son dernier souffle et sans doute, peut être son désarroi.

Antoinette, elle, n'eut d'autre recours que de continuer à louer ses bras. Et qu'avait elle bien pu répondre quand le petit Joseph la questionnait sur  son papa ?

Joseph, dont le fils Charles au destin tragique, mourut en route, revenant d'une noce où il jouait du violon, ayant croisé au détour d'un bois, son meurtrier qui le dévalisa, ne connu pas  Claudius son petit fils, mon grand père, âgé de 18 mois qui lui ne se souvint pas de son papa. Si sa sœur Maria, âgée de 5 ans au moment du drame,  fit tout pour seconder sa mère, c'est le frère de Charles, Augustin qui éleva ses enfants avec les siens. Sans l'aide de sa famille et de ses voisins, Marie Françoise, mon arrière grand mère n'aurait pu élever ses enfants, faire fructifier sa terre, et même l'agrandir. Nous ne sommes pas riche de rien. Ils n'avaient rien, mais donnèrent tout pour que vivent les leurs, les épargnant comme ils le pouvaient mais du mieux qu'ils le savaient faire.

Aujourd'hui, où on a déjà tout ou presque, on se donne bonne conscience en achetant le dernier gadget à nos enfants, qui nous échappent, à qui on ne donne que du temps saupoudré, volé, emprunté. On n'est même pas capable de se battre pour préserver les acquis que nos vieux nous ont légués.

Un 24 mars ordinaire.

 Un grand merci à Fabie qui a beaucoup oeuvré pour l'ouverture de ce nouvel espace avant que le blog initial, toujours le même ne me fas...