vaches ; famille ; nature ; paysages ; pensées ; souvenirs ; humeur

02 mai 2021

Le lard.

Il fait du lard, pour dire qu'il paresse. Gros lard pour définir un propre à rien que l'on méprise plus qu'on le respecte. On ne sait pas si c'est du lard ou du cochon, quand on ne distingue pas le mauvais du bon.

Le lard tout juste bon à ne pas laisser crever de faim, l'indigent à qui on l'offre et le paysan qui n'a d'autre ressource que de manger son lard tout en rongeant son frein.

Ce lard dont le maire de la commune d'Echandelys, disait (c'était il y a longtemps, de maire on a changé souvent, depuis) parlant des paysans à qui il semblait vouer un fort mépris, qu'ils n'avaient qu'à le manger (pour ne pas dire plutôt que de l'emmerder).

Ce lard donc, savez vous que je lui dois mes meilleurs morceaux ?

Pas ceux qui font de l'oiselle que je suis la caille bien grasse et dodue que vous connaissez. Car je précise que mes rondeurs ne luis sont pas dues et que bien d'autres causes en ont été l'objet.

Mais ceux, bien sûr, que je partageais avec Lorette, mon bon chien de berger. Mais pas que. Pas que, car il évoque en moi plein de souvenirs. Ce lard rosé, entrelardé par une fine couche de chair bien prononcée. Ce lard au goût de l'enfance, du bonheur, de l'amour d'un père, d'une mère, d'un grand père, mais que j'aimais tant pour mon dix heure, pour mon quatre heure, et synonyme de partage, quand il venait récompenser une bonne action, que ce soit la Lorette, le chat Blanchou, le chat Jaunet, ou même venir en rétribution de quelques services rendus par un plus miséreux que soi. Rappelez vous la fable du lion et du rat "on a toujours besoin d'un plus petit que soi". Il serait bon que beaucoup s'en souviennent !

Quand la Berthe réclamait de l'ouvrage, ce n'était pas parce qu'elle s'ennuyait. Ce n'était pas parce qu'elle aimait rendre service, quoique, elle aimait aussi. C'était parce qu'elle avait faim. C'était parce que démunie et oubliée de tous, mais fière et digne, elle ne concevait pat de mendier. Alors, elle proposait, de raccommoder, de tricoter, de coudre quelque ouvrage en compensation d'un morceau de lard qu'on aurait l'obligeance de lui réserver. Elle ne demandait pas grand chose, la Berthe. Un peu de lard, un peu d'amitié, un peu de respect et de l'humanité. Un peu de chaleur humaine, finalement rien de bien compliqué. Son quotidien en était tellement dépourvu ! Ma mère l'aimait beaucoup, et nous, petits que nous étions, avions pour la Berthe, cette affection que d'ordinaire on réserve à une grand mère dont on était privé. Mais pour Berthe, cela ne remplaçait en aucun cas l'amour de ses petits dont elle était privée. 

Sers petits , elle connut les plus grands, jusqu'à ce qu'on vienne les lui ôter. Comme elle les aimait ses enfants ! Comme elle pleurait en racontant ! Ma mère la faisait travailler et quand nous gardions ensemble les vaches en haut la route des Enclos, elles échangeaient chaussettes et morceau de lard, le compte y était. Elle se confiait beaucoup, la Berthe. Ma mère l'écoutait, je crois avec beaucoup d'intérêt, de compassion et nous résumait avec un certain déchirement non dépourvu d'empathie, les déboires de la Berthe, pour qui nous avions en retour beaucoup d'affection. C'est elle qui nous avait donné la Moutonne, un petit chien jaune, chien de berger. Il était le protecteur de Nicole ma petite sœur. Quand maman la grondait, quand maman la punissait, pas toujours pour de justes raisons et pas toujours non plus avec des explications, la Moutonne intervenait, elle ne manquait pas de s'interposer et défendait Nicole à qui elle vouait une réelle amitié. Moi, je m'intéressais surtout à ses vaches, la Barade et la Marquise, deux olie Montbéliarde que j'admirais. Mais j'étais frappée par ce que la Berthe nous racontait. C'est comme si ces blessures d'enfance soudain resurgissaient.

Quand le pépé Jean passait par le chemin, nous l'invitions à faire une halte à la table de la maison. Papa sortait du placard, le lard et le fromage et régalait le pépé Jean. Repu, il s'en allait et retrouvait sa liberté avant de revenir dans sa maison, qui a fini par l'ensevelir un jour de l'hiver 1970. Parfois quand il s'arrêtait à Lossedat, il était tard. Il était nuit. Papa l'invitait à dormir, non pas dans un lit, nous n'en avions même pas assez pour nous tous, mais dans un coin de l'étable où la chaleur de la Jaccade, de la Charmante, la Blonde, la roussette et la Mignone, lui offrait un havre de paix pour une nuit, après laquelle il repartait avec dans sa besace, non pas un fromage qu'il aurait dérobé chez la Francine ou chez la Marotte, et de toutes façons pas à la maison, mais un bon morceau de lard, donné avec chaleur et avec affection. 

Quand une bohémienne passait par le chemin et s'arrêtait à la maison, proposant ses paniers, dont nous n'avions pas besoin, maman ouvrait la porte et panier ou pas panier, donnait en offrande un bout de lard sorti du saloir qui ravissait la bohémienne et ses paniers.

La bonté entraine la bonté. Nous n'avons jamais subi le moindre larcin, la moindre dérobade, le moindre chapardage. Le respect entraine le respect. Elles pouvaient venir les bohémiennes aux grands paniers, yeux noirs ou mèches bouclées. Il pouvait venir le pépé Jean. Nous les accueillions avec respect. Celui des humbles qui respectent les humbles et qui en sont respectés.

 Le lard, aliment méprisé, aujourd'hui banni de notre alimentation, qui pourtant combien de vie s a-t-il sauvé de la famine ?  quand on y pense, on lui doit plus d'une chandelle, tout de même, pas de quoi faire les fiers et pavoiser.

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